Lettre ouverte au président de la Cour Suprême, au Procureur Général et au Conseil Supérieur de la Magistrature: Un gros pavé dans la mare des Magistrats

Publié le par OKOYA Francis

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( Ismaël Tidjani Serpos met les pieds dans les plats )

 

C’est prenant au rebond la balle lancée par l’exposé des déviances déontologiques itératives d’un nombre important de magistrats, lors de la cérémonie solennelle consacrant il y a quelques jours la rentrée  de cette haute juridiction au titre de l’année judiciaire 2011-2012 que l’ancien député Ismaël Tidjani-Serpos a décidé d’interpeller le président de la Cour Suprême, le  Procureur Général et les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature. Dans une lettre ouverte en date du 23 novembre 2011, Ismaël Tidjani-Serpos repose la cruciale équation des conditions de nominations des magistrats et leurs responsabilités dans de scabreux antérieurs dossiers. Morceaux choisis :  

« …Il est évident que tout système d’un pays qui se veut  démocratique en prend  nécessairement  un coup si sa justice est bancale pour une raison ou une autre, et surtout lorsque ses principaux animateurs fonctionnent en marge des obligations qui sont les leurs... comment comprendre que des magistrats déjà épinglés disciplinairement dans des dossiers antérieurs du genre de ceux qui sont cités par le Président de la Cour Suprême, soient nommés à de très hautes fonctions judiciaires, de surcroit non collégiales. Il y en a même parmi ces magistrats qui sont nommés dans les cabinets des ministères. C’est à se demander si l’administration judiciaire, le Conseil Supérieur de la Magistrature, organe de gestion disciplinaire des magistrats, ont la mémoire courte ou l’ont perdue ! Et pourtant, ça fait des lustres que le Président actuel de la Cour Suprême, comme il l’a rappelé dans son discours, et certains hauts dignitaires de cette juridiction siègent au sein de ce conseil. Comment expliquer alors ce trou ou cette perte bizarre  de mémoire, cette collusion avec des magistrats qui ont été retenus dans les liens de l’indélicatesse professionnelle? Eh bien, le résultat, c’est qu’il suffit pour ceux qui sont disciplinairement fichés de savoir ramper,  jouer au « béni-oui-oui », ou  vendre leur âme  au pouvoir en place  pour se  laver curieusement de toute souillure professionnelle… » . Lire ci-dessous l’intégralité de la lettre ouverte.

Francis Z. OKOYA

 

Ismael TIDJANI-SERPOS                                                                                             Porto-Novo, le 23 novembre 2011

Citoyen  béninois

01 BP 21

Porto-Novo

 

Lettre ouverte

A

                                                                                                              Monsieur le Président de la Cour Suprême,

 Monsieur le Procureur Général près la Cour Suprême,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature,

 

Objet : Contribution à la réflexion sur le serment du magistrat.

 

Je voudrais tout d’abord exprimer au Président de la Cour Suprême toute ma satisfaction pour l’initiative prise par lui, lors de la cérémonie solennelle consacrant le vendredi 11 dernier la rentrée  de cette haute juridiction au titre de l’année judiciaire 2011-2012, de mettre les pieds dans le plat en se posant publiquement la question cardinale de la moralité des femmes et des hommes chargés d’animer à titre principal la justice de notre pays, les magistrats. Il est évident que tout système d’un pays qui se veut  démocratique en prend  nécessairement  un coup si sa justice est bancale pour une raison ou une autre, et surtout lorsque ses principaux animateurs fonctionnent en marge des obligations qui sont les leurs.    A l’occasion de cette rentrée judiciaire, le Président de la Cour, rejetant la langue de bois et tranchant dans le vif et le concret,  a soulevé des pans importants de la gadoue   dans laquelle ont pataugé récemment certains de nos magistrats, à savoir :

·        le dossier des frais de justice criminelle, dans lequel des dizaines de magistrats ont été épinglés et condamnés pénalement, radiés ou  sanctionnés disciplinairement.

·        L’affaire du nigérien Hamani Tidjani dans laquelle des magistrats occupant  de hautes responsabilités ont été impliqués et disciplinairement sanctionnés ;

·        L’affaire dite « ICC-SERVICES » dans laquelle un haut magistrat est encore actuellement détenu préventivement, même si la présomption d’innocence n’autorise pas encore à imputer à l’intéressé une quelconque responsabilité pénale à l’étape actuelle.

Il existe sûrement  d’autres indélicatesses  tout aussi préoccupantes  mettant en péril l’observation du serment du magistrat, et, par voie de conséquence, la crédibilité de la justice béninoise,   même si  elles n’ont pas connu un retentissement semblable aux cas ci-dessus cités.

L’intérêt qu’il y a à évoquer les plus scandaleux de ces faits réside, du moins je le suppose,  dans un souci de sensibilisation et d’endiguement pour l’avenir de ce genre de dérives. En effet,  en s’interpellant et en méditant collectivement, en une occasion aussi solennelle que la rentrée   judiciaire de la Cour Suprême, sur les déviances déontologiques itératives d’un nombre important de magistrats, l’objectif visé est, à coup sûr, de mettre un holà à ce type de comportements au sein de la magistrature béninoise. L’intention est fantastique et j’y adhère totalement.

 Toutefois, l’œuvre m’a semblé inachevée telle qu’elle a été exposée par les principaux intervenants au cours de la cérémonie de rentrée judiciaire de cette juridiction.

En effet, après avoir dénoncé les faits dans leur nudité crue, le vrai questionnement qui devrait s’opérer est de savoir si des mesures appropriées ont été prises par l’administration  judiciaire pour proscrire la survenue  d’autres dérives déontologiques afin de sécuriser et crédibiliser la justice béninoise. Si dans leurs allocutions, le Président de la Cour et le Procureur Général ont évoqué la question de la formation et du recyclage des magistrats, il demeure un point nodal sur lequel un silence pieux a été malheureusement observé.

En réalité, le plus gros scandale incompréhensible, qui est une véritable prime à la dérive déontologique, réside dans le comportement de l’autorité de nomination des magistrats ; c’est le Président de la République qui nomme les magistrats sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature ; alors comment comprendre que des magistrats déjà épinglés disciplinairement dans des dossiers antérieurs du genre de ceux qui sont cités par le Président de la Cour Suprême, soient nommés à de très hautes fonctions judiciaires, de surcroit non collégiales. Il y en a même parmi ces magistrats qui sont nommés dans les cabinets des ministères. C’est à se demander si l’administration judiciaire, le Conseil Supérieur de la Magistrature, organe de gestion disciplinaire des magistrats, ont la mémoire courte ou l’ont perdue ! Et pourtant, ça fait des lustres que le Président actuel de la Cour Suprême, comme il l’a rappelé dans son discours, et certains hauts dignitaires de cette juridiction siègent au sein de ce conseil. Comment expliquer alors ce trou ou cette perte bizarre  de mémoire, cette collusion avec des magistrats qui ont été retenus dans les liens de l’indélicatesse professionnelle? Eh bien, le résultat, c’est qu’il suffit pour ceux qui sont disciplinairement fichés de savoir ramper,  jouer au « béni-oui-oui », ou  vendre leur âme  au pouvoir en place  pour se  laver curieusement de toute souillure professionnelle. Cette question interpelle tout le monde, y compris le Président de la Cour Suprême et bon nombre des membres de cette juridiction en leur qualité de membres du Conseil Supérieur de la Magistrature. Ce curieux trou de mémoire a favorisé la répétition de la commission par les mêmes cadres de faits répréhensibles. Que l’on mette de l’ordre dans les nominations et les promotions au sein de la magistrature, et que les sanctions disciplinaires portent véritablement à conséquence, et une certaine rigueur s’instaurera dans l’observance de la déontologie de cette corporation. 

Cette  incohérence  du système en place ressemble étrangement à la dénonciation de certains députés FCBE faite par le Président de la République au Président de l’Assemblée nationale au cours de la cinquième législature et dont on a encore  retrouvé pourtant les noms sur la liste des candidats FCBE  au titre des dernières législatives. De même qu’il est périlleux de chercher à saisir la logique de ce micmac politique, de même on perd son   latin à fouiner  dans la rigueur des raisons sous-jacentes aux nominations et promotions des magistrats à dossiers.  Plus on y réfléchit, plus  on se demande si le  désir d’asservir la justice au pouvoir exécutif n’en constitue pas le seul et réel soubassement. Ces magistrats qui se sont révélés indélicats ne sont-ils pas fragiles et prêts à avaler n’importe quelle couleuvre pour sauver, même au prix de  compromissions morales et professionnelles, la mise et l’aubaine que leur offre l’organe de nomination ?

Poussant la réflexion un peu plus loin, on constate que parmi les trois dossiers cités par le Président de la Cour, au moins deux d’entre eux, affaire «  Hamani » et affaire « ICC SERVICES », mettent en cause l’organe de nomination, selon les investigations qui ont été menées, ou les propos des principaux mis en cause tant au niveau de l’exécutif que du judiciaire (cf. les différents mémorandums publiés). C’est à se demander si ces nominations complaisantes ne sont pas faites à dessein pour s’assurer l’accompagnement et le soutien de la justice.

Enfin, il a été donné à tout observateur, au cours de cette cérémonie de rentrée judiciaire, ne serait-ce que de la position où je me trouvais par exemple  sur les lieux de l’évènement,  de constater qu’un portrait du Président de la république trônait de façon inadaptée dans le hall du premier étage de la Cour Suprême. J’en ai été profondément choqué, et, croyez-moi, bon nombre de participants nationaux et étrangers également. En effet, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, ce portrait a-t-il vraiment sa place dans cette juridiction qui est censée être la plus haute en matière judiciaire, administrative et des comptes? Le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs devrait s’opposer à l’exposition de ce symbole de l’Exécutif  dans le hall de la juridiction. Si cette pratique du culte de la personnalité peut être éventuellement tolérée sans trop d’indécence au sein de l’Exécutif et de ses démembrements, elle est inconcevable au niveau d’une justice qui se  veut indépendante, donc pas aux ordres.  De grâce,  libérons la Cour Suprême de cette emprise apparente de l’Exécutif, il y va de la crédibilité de la justice béninoise.

J’aurai certainement  l‘opportunité de vous faire part très prochainement d’autres contributions sur la bonne marche de notre justice dans la perspective de la rendre plus performante.

Cette lettre est ouverte pour en permettre une bonne exploitation à tous les niveaux décisionnels.

Je vous remercie, Monsieur le Président, Monsieur le Procureur Général, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature, de toute l’attention que vous voudrez bien accorder à la présente contribution.

 

 

 

Ismael TIDJANI-SERPOS

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